Du dur au mou
Posté le Sat 14 July 2018 dans C'est pas si compliqué que ça !
Comme je le disais dans mon premier article, voilà quelques années que je travaille dans l'informatique, en tant qu'ingénieur en logiciel ; et bizarrement, c'est un métier dont l'évocation suscite rarement des transports d'enthousiasme, et qu'assez peu ont la chance d'exercer dans un cadre extrêmement épanouissant. C'est d'ailleurs bien dommage, car c'est un domaine passionnant qui mérite vraiment que l'on s'y intéresse, pour des tas de raisons.
Alors je vais déjà essayer d'expliquer ce que c'est vraiment que le logiciel, ce qui vous permettra (aussi) de comprendre le titre.
Je crois que partir du terme anglais pour logiciel est intéressant : software, formé donc des deux mots soft (traduisible en mou, ou dans ce contexte en malléable) et ware, qu'il est difficile de traduire en français, mais qui s'utilise souvent comme suffixe pour des objets d'une certaine matière ou ayant un usage commun. On parle par exemple de kitchenware pour les accessoires de cuisine, de tableware pour ce qui se met sur une table à manger, de glassware pour les objets en verre, etc. Le terme de software vient donc en opposition à celui de hardware (hard se traduisant en dur, dans le sens inamovible), que l'on a traduit en français par matériel, et qui désigne ce sur quoi le logiciel se greffe (à l'origine, un gros calculateur).
Car le logiciel a impérativement besoin d'un matériel sur lequel s'exécuter, et l'un ne va pas sans l'autre : votre téléphone, votre télévision, le digicode de votre immeuble ou le serveur sur lequel est hébergé ce blog seraient aussi inanimés qu'une brique s'il n'y avait pas de logiciel pour leur "donner vie".
Et c'est là toute la magie du logiciel : sur un support matériel donné, les applications possibles sont (en théorie) infinies, juste en faisant varier le logiciel que l'on met dessus. Cela paraît presque naturel à tout le monde à une époque où ordinateurs et smartphones sont partout autour de nous, mais c'est un concept très étonnant si on le tranpose à d'autres objets physiques ; imaginez que vous puissiez prendre votre table de salle à manger et la transformer au choix en une cheminée, une baignoire, un A380, un glabulzateur, ou n'importe quoi d'autre.
Si j'ai dit "en théorie", c'est parce que l'existence de cette possibilité a été démontré le plus rigoureusement du monde, par celui auquel on accolle souvent des qualificatifs tels que "inventeur de l'ordinateur", "père de l'informatique", ou "celui qui a fait basculer la 2e Guerre Mondiale" : Alan Turing. Certains sont-ils sûrement matière à discussion, mais son influence sur le domaine fut telle que le "prix Nobel de l'informatique", décerné tous les ans, porte son nom. Et il a fait faire un bond théorique immense au domaine, entre autres avec son concept de machine universelle. En très, très gros, il démontre que plutôt que de devoir concevoir une nouvelle machine (un hardware) pour chaque nouvel usage, on peut utiliser une seule et même machine, dont on change uniquement les données d'entrée (le software, programme, logiciel, ...).
Ainsi contribua-t-il à :
- créer le domaine de l'informatique,
- donner du travail en masse à des générations de travailleurs intellectuels (?) dont le métier consiste simplement à traduire une demande exprimée en "français" - "faire un réseau social pour partager des photos de chatons et des opinions politiques de bas étage" - en quelque chose de compréhensible par une machine : on les appelle programmeurs, développeurs, ingénieurs en informatique/logiciel, à la rigueur informaticiens, mais surtout pas programmateurs, par pitié - un programmateur, c'est ce que vous avez sur votre machine à laver ou votre four,
- inventer de nouveaux mots savants que des experts en tout peuvent brandir pour faire très peur ou très sérieux : algorithme, intelligence artificielle, ...
- permettre à des générations de dirigeants et managers de se découvrir une nouvelle phrase fétiche : "Mais c'est juste du logiciel, ça, c'est vite fait"
Merci Alan ?!