Un business model qui claque, selon Wall Street

Posté le Wed 05 September 2018 dans Il n'y a que la maille qui m'aille


L'argent ne fait pas le bonheur, mais ...

Quand on commence à envisager de monter son entreprise avec pour motivation principale l'envie d'assurer l'avenir d'un projet qui nous tient à coeur et le fait de pouvoir à terme en vivre, se posent des questions que l'on ne se serait pas forcément spontanément posées, notamment et en premier lieu celle du business model, ou encore, en français : comment qu'on fait de l'argent avec ? A moins d'être particulièrement bien né ou un récent gagnant du Loto, s'ajoute souvent cette question celle-ci : comment on convainc des investisseurs ?

... question à laquelle je ne sais pas encore répondre, mais qui en amène encore une autre : qu'est-ce qui fait qu'un investisseur s'intéresse à une entreprise plutôt qu'une autre ? Question qui elle-même amène à s'interroger sur ... Non je plaisante, c'est bien celle-ci que je vais aborder dans cet article !

J'exposerai pour cela le point de vue d'un investisseur apparemment parmi les plus en vue dans le domaine des nouvelles technologies, Bill Gurley, associé général d'une des plus grosses entreprises de capital-risque de la Silicon Valley. Entreprise qui s'est par exemple illustrée il y a un peu plus d'un an en obtenant la tête du PDG d'Uber.

(Amis anti-capitalistes, ne partez pas tout de suite, il est intéressant de connaître l'ennemi !)

(Et oui, j'ai menti en parlant de Wall Street, mais comme le disait Boris Vian, le plus important c'est de trouver un titre qui donne envie de lire)

Dans un article posté sur son blog il y a quelques années, Bill Gurley détaillait 10 critères qu'il applique lui-même dans le choix de ses investissements, et qui selon lui font la différence entre le potentiel futur Google et la 250e boîte qui propose de mélanger intelligence artificielle et blockchain dans un modèle d'innovation disruptif qui permettrait à ses clients la mise en place de services B2C eco-friendly avec un ROI substantiellement supérieur à ses concurrents.

Les 10 critères en question ne sont pas dénués de bon sens ; d'ailleurs il reproche à certains de ses confrères dans son article de se concentrer uniquement sur les chiffres sans se préoccuper de ce qu'ils recouvrent ni de l'avenir à long terme de leurs cibles ... comme quoi ! Ils me semblent par ailleurs applicables à n'importe quel type d'entreprise, qu'elle soit dans les "nouvelles technologies" ou non.

Un avantage concurrentiel durable

C'est un des critères les plus importants. Si vous pondez un algorithme de recherche de pages Web qui donne des résultats hyper pertinents là où il faut parcourir 30 liens dans les résultats de vos concurrents avant de tomber sur une bonne page, vous êtes dans cette catégorie. Si à l'inverse, n'importe qui peut faire la mềme chose que vous dès demain, la concurrence va être rude.

L'existence d'effets de réseau

L'effet de réseau, c'est l'effet qu'un client a sur la valeur d'un produit ou d'un service pour les autres clients, du simple fait de son utilisation. Cet effet peut se produire entre clients du mème type, ou entre des clients de types différents.

Ça parait plus clair en illustrant par des exemples. Si demain vous vous inscrivez sur un réseau social, et que vous êtes tout seul dessus, bon, vous allez vite vous ennuyer (sauf si vous adorez vous parler de vous-même) ; si un de vos amis s'inscrit, ce sera déjà plus sympa ... et encore plus si un autre s'inscrit, et ainsi de suite. L'exemple typique du 2e type d'effet réseau, c'est la carte de paiement ; si vous avez une carte de paiement et que vous ne pouvez vous en servir dans aucun commerce, c'est embêtant ... plus il y aura de commerces qui accepteront cette carte, plus il sera intéressant d'en avoir une. Et réciproquement, plus il y a de gens qui ont cette carte, plus grand est l'intéret pour un commerce de souscrire au service permettant d'acccepter cette carte.

C'est donc un bel effet d'entraînement qui a pour effet que plus vous avez de clients aujourd'hui, ... plus vous aurez de clients demain. On comprend que cela puisse intéresser un investisseur.

La visibilité et la prédictibilité des revenus futurs

Une entreprise dont les perspectives de revenus sont garanties, stables et anticipables présente de manière naturelle un grand intérêt pour un investisseur. Si la réussite de l'entreprise dépend exclusivement d'un produit qui sera acheté une seule fois par ses clients et qu'elle n'a aucun autre suite à proposer, son avenir semble compromis.

De manière générale, un revenu qui repose sur un abonnement est bien plus intéressant dans la durée qu'un revenu qui repose sur un achat unique ; raison pour laquelle beaucoup d'éditeurs de logiciel ont basculé vers des modèles à abonnement.

La captation de la clientèle et les coûts de basculement vers la concurrence

C'est un peu un corollaire du point précédent ; faire en sorte que ses clients restent par obligation fidèles à une entreprise est évidemment un énorme avantage par rapport à une entreprise pour laquelle il est très facile de passer à la concurrence.

Cela peut se faire de différentes manières. Dans le domaine de la photographie, par exemple, c'est une restriction matérielle qui l'impose, les objectifs d'une marque donnée ne pouvant être montés que sur les appareils de cette marque ; un amateur qui achète un appareil Canon puis se procure des objectifs adaptés sera peu susceptible de basculer vers Nikon. Un autre facteur peut par exemple être un apprentissage difficile et coûteux en temps ; c'est le cas de certains logiciels (Photoshop, Office, ...), dont on ne sera du coup pas très étonnés qu'ils soient toujours aussi faciles à pirater. Les utilisateurs individuels qui se le procurent de cette manière contribuent à les rendre populaires, et une entreprise qui doit décider d'une solution à utiliser sera plus susceptible de les choisir puisque beaucoup de monde les maîtrise.

Le niveau de marge brute

La marge brute, c'est le pourcentage qu'il reste du revenu après en avoir enlevé le coût de revient. Le mode de calcul du coût de revient dépend du secteur, mais généralement il s'estime en ajoutant toutes les sommes rentrant dans la production et la distribution d'un bien ou service : les éventuels achats aux fournisseurs, les coûts administratifs, etc.

Plus celle-ci est élevée, plus la marge de manœuvre est grande, et plus les profits potentiels sont importants.

La profitabilité marginale

Il s'agit là d'une notion qui mesure comment une entreprise "passe à l'échelle" en fonction de son succès. Des exemples sont comme toujours plus parlants : une entreprise qui diffuse un produit avec un coût de revient très faible (un éditeur de logiciels) continuera toujours de gagner de l'argent sur chaque nouvel exemplaire du produit qui se vend, et elle en gagnera d'autant plus sur chaque exemplaire vendu. A l'inverse, une entreprise qui propose un produit ou service qui requiert d'autant plus de coûts qu'il est demandé verra son profit marginal diminuer avec sa croissance : c'est le cas par exemple d'une entreprise de conseil, qui pour réaliser sa prestation doit recruter d'autant plus d'employés, ce qui induit également des coûts en terme d'organisation interne.

La non-concentration de la clientèle

Une entreprise dont les revenus dépendent d'un ou deux gros clients est évidemment très exposée à un revirement de leur part, et dépend également de leur bonne santé financière. Dans certains cas extrêmes, cela peut même devenir un levier de négociation pour le client, qui peut utiliser cette situation de dépendance pour faire baisser les prix ; c'est souvent le cas des petits fournisseurs de la grande distribution.

L'idéal, c'est une clientèle "atomisée", comme celle de Google ou (dans une plus faible mesure) Facebook : énormément de petits clients interchangeables dont les décisions individuelles n'ont pas d'impact sur l'entreprise.

Une faible dépendance vis-à-vis de ses partenaires

On retrouve un peu la même problématique que pour la question de la clientèle. Si le business model d'une entreprise dépend énormément des services proposés par une autre (dont elle n'est pas nécessairement client direct pour autant), ses revenus voire sa survie seront très sensibles à un changement de stratégie de ce partenaire.

La galaxie d'entreprises qui reposent sur un ou des services proposés par Google ou Facebook constituent un excellent exemple ; si dans l'avenir un de ces géants décide de changer sa politique lié à ce service, voire de se lancer lui-même sur le même marché que celui de ces entreprises, les chances sont grandes qu'elles soient écrasées sur leur propre terrain. Facebook lui-même avait vu sa valeur baisser en raison de la dépendance jugée trop grande à Zynga, une entreprise qui crée des jeux pour Facebook (et participe ainsi pour une bonne part au succès de la plateforme), le plus connu étant Farmville.

La présence d'une demande "naturelle"

Entre deux entreprises au profil financier équivalent, celle dont le succès repose énormément sur le marketing sera vue comme plus fragile que celle dont le produit se vend "naturellement". Cela s'explique d'une part par le fait que le marketing représente alors un coût inamovible que l'entreprise ne pourra jamais utiliser pour autre chose ; et d'autre part par le simple fait qu'un produit qui répond à une réelle demande est presque garanti de connaître durablement le succès.

La croissance

Le dernier point est des plus naturels (dans une logique capitaliste). Bill Gurley ajoute toutefois quelques remarques intéressantes. D'une part, la croissance des géants de la technologie n'est pas aussi importante qu'elle a pu l'être à une époque, et elle ralentit au fur et à mesure ; ainsi donc les investisseurs sont encore plus enclins qu'avant à se jeter sur une entreprise qui croit au rythme de 25%, 50 ou 100%.

D'autre part, et c'est plus pertinent, beaucoup ont été échaudés par l'expérience de l'éclatement de la bulle "dot.com" à la fin des années 90, et ont peut-être simplement reconsidéré ce qui faisait la valeur véritable d'une entreprise. Ils ont ainsi réalisé qu'un modèle d'investissement basé sur la seule croissance du chiffre d'affaire ne valait rien s'il n'était accompagné d'une croissance des profits ; en effet il est assez facile pour une entreprise de gonfler artificiellement (ou non) son chiffre d'affaire en développant une offre qui n'apportera JAMAIS de profit.

Un dernier point, valable en particulier dans les nouvelles technologies : une entreprise qui crée un nouveau marché avec un produit complètement nouveau n'aura pas de mal à croître très rapidement ... mais est susceptible de s'effondrer tout aussi vite dès lors que des concurrents se lancent dessus.

Tout ressemblance avec des évènements existants ou ayant existé et ayant touché personnellement l'auteur serait évidemment purement fortuite.


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